Libellés

vendredi 19 août 2011

Un printemps jordanien



Une épave allemande à Amman
Nous quittons Damas le 6 mars en milieu d’après-midi dans un taxi collectif que nous partageons avec deux jordaniennes. Au poste frontière, les douaniers jordaniens sont nettement plus minutieux que leurs homologues syriens passant en revue chaque bagage, chaque véhicule. Nous arrivons à Amman de nuit où nous nous rendons dans le quartier de l’Université jordanienne. En effet, lassés par un mois et demi de voyage itinérant en Syrie, nous avons décidé de louer un appartement dans la capitale et nous avons trouvé une offre de colocation sur internet à un prix dérisoire près de l’Université. Le logement est tenu par une Allemande, ce qui inconsciemment nous rassure, mais il nous suffit de franchir le seuil de la porte pour comprendre notre erreur ! L’Allemande en question est en réalité une femme à chats, à l’image de ces personnages de films américains qui, fuyant la compagnie des hommes, se réfugient dans l’indifférence câline des félins et terrifient les enfants. L’appartement à la chatière grande ouverte accueille ainsi tous les chats errants du quartier, il y en a partout, dans la baignoire, sur le frigidaire, sur les canapés et leurs poils forment comme un second pelage sur les vêtements de notre hôte (sans parler des relents de pisse qui émanent de la salle de bain). Curieux personnage comme échoué sur une plage hostile et qui nous abreuve de préjugés sur les musulmans et les arabes allant même jusqu’à nous affirmer que notre douce France serait condamnée, du fait de l’émigration, à devenir une république islamique !

C'est raté pour l'authenticité !
Nous décidons donc de mettre les voiles le plus rapidement possible et le quartier de l’université s’avère un lieu propice pour trouver, sans délai, un hébergement de substitution. Nous louons donc un petit appart-hôtel tout équipé avec balcon, télévision et même lave-linge ! Mais le quartier ne tient pas toutes ses promesses, là où nous pensions trouver des lieux de convivialité animés par la vie étudiante, ne poussent que des enseignes américaines et des banques : MacDo tirant la bourre à Burger King avec des prix en conséquence. Au-delà, le coin s’apparente à une cité-dortoir pour les jeunes jordaniens qui ont les moyens d’honorer les tarifs exorbitants de l’Université. Après l’authentique Syrie, résistante à l’impérialisme américain autant que boycottée par les Etats-Unis, nous voici tombés en plein coeur du néolibéralisme arabisé. 

Sous la pluie froide de mars, le charme d’Amman est difficile à saisir, d’autant que nous réalisons un peu tardivement que nous sommes logés à quelques 12 km du centre historique abritant quelques ruines antiques (Théâtre et forteresse), la mosquée Hussein  et le souk attenant. Il y a un siècle la cité n’accueillait que quelques milliers d’habitants avant de devenir la capitale du royaume hachémite fondé après la 1ère Guerre mondiale. A compter de cette date elle ne cessera de s’étendre avec l’arrivée de vagues successives de réfugiés palestiniens (la moitié de la population) puis irakiens, et la sédentarisation des bédouins dont certains font toujours paitre leurs bêtes dans quelques terrains vagues coincés entre deux constructions modernes. La population de la ville s’élève désormais à plus de 3 millions d’habitants ! Là encore, le contraste avec les grandes villes syriennes est saisissant : pas de véritable culture urbaine, d’artisanat local, ni de souks et ruelles millénaires... L’identité jordanienne reste une question ouverte, brûlante parfois.

Zenga Zenga
 
Mais il fait froid, dehors la musique mélancolique annonçant le passage du vendeur de gaz retentit dans chaque coin de la ville une bonne dizaine de fois par jour. Sur les écrans de télévision et dans les auto-radios des taxis retentissent les premiers cris de liberté des Syriens à Deraa, ceux de Bahreïn et du Yemen, mais surtout les armes des rebelles libyens qui, après une avance rapide, reculent désormais tandis que la communauté internationale tergiverse. Et puis il y a cette énorme vague qui emporte en direct des villes entières au Japon et qui déclenche un autre feuilleton : celui, nucléaire, de Fukushima. Finalement, les occidentaux se lancent en Libye et les réactions des Jordaniens sont très contrastées, certains ne voient pas d’un mauvais oeil cette intervention puisqu’elle ne s’accompagne pas d’isti’amar (الاستعمار), terme désignant à la fois occupation militaire et  colonisation. D’autres qualifient Sarkozy de meurtrier. Mais tous s’accordent sur la folie de Qadafi qu’ils résument en reprenant l’une de ses déclarations : “Zenga zenga”, dans laquelle il affirme, fusil à la main, qu’il va reconquérir le pays “ruelle par ruelle”. La Jordanie n’est d’ailleurs pas épargnée par les mobilisations politiques du printemps arabe : outre les revendications catégorielles qui se multiplient, chaque vendredi ont lieu des manifestations importantes appelant à la démocratisation du régime. En ce mois de Mars, elles atteindront leur paroxysme le jeudi 24, lorsqu’un groupe de jeunes installe un sit-in permanent sur le rond-point du Ministère de l’intérieur revendiquant la fin de l’emprise des services de sécurité sur la vie politique et sociale, une justice indépendante et un fonctionnement démocratique des institutions du pays. Le lendemain, des manifestants pro-régime interviennent violemment pour les déloger à coups de bâtons et de jets de pierre, visant au passage les journalistes sous l’oeil impassible de la police. Le bilan est de plusieurs dizaines de blessés et d’un décès, attribué par le pouvoir à une crise cardiaque... 
 
Nous profitons des éclaircies pour explorer la ville et ses alentours : les collines du centre ville plus jeunes et vivantes comme Jebel Amman, avec ses cafés et terrasses où les jeunes jordaniens, guitares à la main, reprennent du Bob Dylan, et Jebel Webdeh avec ses sympathiques galeries d’art contemporain. Et nous nous rendons à Jerash à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Amman pour voir la couleur que prennent dans ce pays les vieilles pierres romaines et croiser quelques bédouins dont les chèvres raffolent des fleurs printanières qui éclosent au milieu des ruines. Pour rallier la ville nous suivons l’exemple des Jordaniens qui, pour palier au sous-développement chronique des transports publics, font du stop en échange de quelques Dinars. 

Nous faisons peu de rencontres à Amman. Il y a bien Mamdou, ce jeune étudiant qui nous indique notre chemin dans le bus et avec qui nous échangeons notre numéro de téléphone. Mais après quelques rencontres nous avons épuisé tous les sujets qu’autorise notre faible maîtrise respective de l’Arabe et de l’Anglais. Laurent reprend contact avec une société jordanienne avec laquelle il avait travaillé 3 ans plutôt. La directrice lui propose de donner une formation de plusieurs jours sur l’évaluation des politiques publiques. L’occasion de faire connaissance avec une équipe jeune, enthousiaste et très féminine, mais aussi de se plonger dans une problématique qui fait écho aux révolutions arabes : la transition démographique jordanienne et les politiques qui l’accompagnent (The demographic opportunity, a policy document).  De fait, si l’Etat jordanienne affiche une volonté d’anticiper l’arrivée massive d’une nouvelle classe d’âge sur le marché du travail, il est totalement passé à côté des conséquences politiques de cette évolution : le puissant désir de ces jeunes de participer à la vie publique !

30 ans à Pétra
Mais, notre séjour en Jordanie c’est aussi et surtout la visite de la famille de Chloé venue célébrer avec nous ses 30 ans ! Cécile, Jacky, Jean-Gilbert, Thomas et Lina débarquent en pleine nuit pour un road trip de 5 jours concocté par nos soins et mené tambour battant avec la complicité de Rami, le chauffeur de notre minibus. Nous commençons par nous laisser flotter dans les eaux hyper salées de la Mer morte et nous enduire de ses boues réputées. Le soir dans un resto de Madaba, Jacky radine sur le pourboire. Le lendemain, nous plongeons plein sud pour passer 2 jours sur le site antique de Petra où nous fêtons le 30ème printemps de Chloé. Cécile s’arrête régulièrement pour tracer les esquisses de futures aquarelles et, alors que nous nous dirigeons vers les hauteurs du monastère, Thomas passe à deux doigts de tuer un âne. Enfin, nous passons une nuit dans le célèbre Wadi Rum où Lawrence d’Arabie s’est évertué à unifier les tribus bédouines pendant la 1ère Guerre mondiale. Le désert est en fleur, les chameaux sont en liberté, les pattes avant à peine entravées pour ne pas trop s’éloigner, et les dernières générations de bédouins reconvertis en animateurs de camps de vacances baladent les bons touristes que nous sommes. De son côté, Lina, convertie à l’Islam, connait un franc succès auprès des Jordaniens, ravis de voir une occidentale porter le voile. De retour à Amman, alors que les filles sont au hammam, Jean-Gilbert casse la dernière bouteille de vin en voulant l’ouvrir sans tire-bouchon, véritable crime pour qui connait le prix de cette denrée «haram» sur le marché jordanien. Enfin, après un dernier repas autour d’un copieux mansaf (agneau bédouin aux amandes cuit dans du yaourt) la petite famille repart vers la France.

 

Notre séjour s’achève sur une explosion de fleurs printanières avec la découverte des réserves naturelles d’Ajloun et ses paysages méditerranéens et de Danaa aux formes lunaires. Car, si la Jordanie ne nous a pas séduite par sa richesse urbaine et culturelle, ses paysages à couper le souffle et sillonnés sans relâche pendant des siècles par ses tribus bédouines nous ont donné à voir l´âme encore sauvage du pays. Enfin, nous descendons jusqu’à Aqaba pour rejoindre la Mer rouge d’où nous prenons le bateau pour rejoindre le Sinaï. A nous l’Egypte !

vendredi 29 juillet 2011

Syrie : le calme avant la tempête

Le 31 janvier dernier nous quittons donc une Beyrouth pluvieuse en Taxi collectif. Passés les quelques déboires du poste frontière dans le froid et la neige, nous arrivons enfin en Syrie. Le ciel s’éclaircit et bientôt, dans la plaine baignée d’une lumière blafarde apparaît Damas ! La capitale syrienne tient toutes ses promesses : d’emblée son visage arabe et sa culture urbaine moyen-orientale nous transportent et la rencontre avec les damascènes, à la fois chaleureux et réservés, près à traverser la ville avec nous pour nous aider, instaure une confiance qui ne nous quittera plus de tout le séjour. Sur les télévisions de toute la ville défilent les images incroyables de l’attaque des chameaux de Gizeh sur les manifestants place Tahrir au Caire. 
 

Après quelques jours en ville, nous nous mettons en route : contrairement au Liban où nous avons stationné 2 mois à Beyrouth, nous avons décidé de vivre notre expérience syrienne sur le mode du road trip. Nous partons donc pour Mar Moussa, un monastère perdu dans le désert syrien, où nous passons 5 jours, nourris logés par les moines. Malheureusement, le temps joue contre nous : hormis quelques lumineuses éclaircies, le monastère haut perché reste plongé dans le brouillard, nous ne pouvons donc pas participer aux activités de la ferme comme nous l’aurions souhaité. Nous passons alors beaucoup de temps dans la bibliothèque autour du soubia en profitant pour étudier le dialecte syrien et multiplier les rencontres. Nous quittons le Monastère au petit matin dans le mini-bus de la communauté, tandis que le désert défile à la fenêtre et que les moines chantent à tue-tête des cantiques galvanisés par cette belle matinée ensoleillée.

Nous mettons le cap sur Palmyre, l’oasis sur la route de l’Euphrate traversant un paysage désertique de cailloux et de wadis. Au milieu de cet oasis stratégique triomphent encore les ruines d’une cité antique gigantesque, avec ses temples, ses colonnades et sa nécropole, et le souvenir nostalgique de la Reine Zénobie qui osa défier l’empire romain. A Palmyre nous apprenons avec les syriens scandalisés que la fortune de Moubarak pourrait atteindre 70 milliards de dollars.

Nous poursuivons plus à l’est encore, jusqu’à Deir Ez-Zorr ville sur l’Euphrate au développement récent. Nous sommes là aux confins de la Syrie, à un peu plus de 150 Km de la frontière irakienne, l’ambiance y est moins chaleureuse qu’à Damas et nos têtes d’occidentaux ne passent pas inaperçues. Enfin, nous retrouvons l’Euphrate 3 mois après avoir quitté les villages engloutis de la Turquie orientale. Nous poussons jusqu’au site antique de Doura Europos qui surplombe le fleuve depuis son promontoire isolé sur la route de l’Irak. Au moment de quitter le site, dans cet espace désertique nous profitons du passage incongru d’un mariage pour nous faire convoyer jusqu’à la grande route dans une ambiance électrique : musique et youyou à toute berzingue, gros 4x4 affublés de portraits gigantesques de Bachar et immatriculés à Dubaï, strass et paillettes...

Nous repartons vers le Nord-Ouest pour rejoindre Alep où nous sommes accueillis par Kemal, le copain d’Emilie notre colloc’ beyroutine, et Grégoire qui vivent dans une magnifique maison syrienne avec cour intérieure, fontaine, Iwan (salon extérieur) et oranger. C’est dans ce cadre enchanteur que nous décidons de nous marier un beau matin. Nous passons là une courte semaine à déambuler dans cette ville aux voûtes millénaires, et pouvons apprécier ce qui fait sa réputation : son savon, les ruelles labyrinthiques de ses souks, et son conservatisme (on y voit plus qu’ailleurs des femmes portant le voile intégral). C’est à Alep aussi que nous apprenons que Moubarak a finalement jeté l’éponge, ce qui provoque pleurs d’émotion et chants nationalistes arabes en Syrie. Le même jour, Bachar décide de libéraliser Facebook, et des groupes de plusieurs dizaines de milliers de personnes se constituent en quelques jours derrière un appel à manifester en Syrie. Le président syrien sent bien venir le danger qu’il tente de conjurer à la hâte : les foules que nous avons croisées plusieurs fois devant les bureaux de poste ne manifestent pas, mais viennent chercher les allocations d’un tout nouveau programme d’aide sociale.

Nous rejoignons enfin la Méditerranée à Kassab où nous retrouvons des amis syriens à l’occasion d’une des fameuses randonnées organisées par le Père France : plus de 300 jeunes, filles et garçons, peuvent ainsi se réunir librement et nombreux sont ceux qui en profitent pour chercher l’âme soeur. Puis, nous longeons la côte en passant par Lattaquié, Tartous et les deux plus belles forteresses de la Syrie : le château de Saladin et le Krak des chevaliers, tous deux symboles des sanglants affrontements entre croisés francs et Arabes musulmans. Après l’aridité du désert, nous retrouvons les champs d’oliviers et les orangers, la douceur de vivre méditerranéenne, et goûtons cet agréable sentiment d’être de retour chez nous.

Désormais, c’est la Libye qui occupe tous les écrans. On parle aussi beaucoup de cette manifestation spontanée qui a eu lieu à Damas en réponse au comportement d’un policier qui violentait un passant. Seule l’intervention du Ministre de l’intérieur a finalement réussi à calmer la foule.

De nouveau à Damas, nous sommes hébergés par Emilie et Mathieu que nous qualifierons (sans leur permission) d’orientalistes contemporains et c’est avec une très grande excitation que nous accueillons nos amis communs, Emilie et Lionel, venus tout droit de la mère patrie nous donner des nouvelles du pays, saucisson à l’appui. Tous les six nous partons en expédition en bordure de steppe à l’est de la ville de Hama dans le petit village de Sheikh Hilal. Là les habitants ont lancé un projet novateur de tourisme solidaire en restaurant leurs maisons en forme de dôme de terre, les «qobbah». A l’extérieur du village se sont installées temporairement deux familles de bédouins que nous rencontrons lors d’une petite balade et d’une tasse de thé.

Avant de quitter la Syrie, nous retournons au monastère de Mar Moussa pour faire un dernier adieu aux moines et apprécier le retour du printemps sur les montagnes ensoleillées du désert. A Damas, l’appel à manifester a échoué, aucun rassemblement n’a eu lieu ce jour là sans doute du fait de la forte concentration de moustachus sur les lieux (la moustache étant un attribut qui caractérise généralement les membres de la police politique ou moukhabarat). Toutefois, quelques centaines de syriens défilent devant l’ambassade de Libye avant de goûter de la matraque.

Lorsque nous quittons la Syrie, nous avons le sentiment que quelque chose est en marche, que nous avons vécu le calme avant la tempête. Tous les yeux sont rivés sur la Tunisie, l’Egypte et la Libye, une solidarité arabe se manifeste très clairement, mais peu osent encore parler de leur propre pays. Devant un tel flicage de la société à tous les échelons, difficile d’imaginer à ce stade que les syriens choisissent la voie périlleuse de la rébellion contre le régime. Nos amis syriens qui n’ont jamais manifesté de leur vie ne sont pas encore près à courir ce risque, à moins qu’il ne s’agisse d’un véritable mouvement de masse... Finalement, une semaine après notre départ de Syrie, les premières manifestations éclatent dans le sud à Deraa. L’étincelle : des adolescents ayant couvert de slogans révolutionnaires les murs de la ville ont été torturés à l’ancienne par les autorités. Leurs familles, excédées, descendent dans la rue le 12 mars et c’est bientôt tout le pays qui s’embrase.
 
Aujourd’hui alors que Bachar s’obstine par la violence à vouloir faire taire son peuple, nos pensées les plus sincères vont aux Syriens, à leur courage et à leur générosité. Vive la Syrie libre !


mardi 28 juin 2011

Prêcher dans le désert, quelques jours avec la communauté de Mar Moussa


Sur la route
«En Syrie, allez à Mar Moussa ! A une centaine de kilomètres au nord de Damas, en bordure du désert syrien, vous trouverez un monastère perché dans la montagne. Là, vous serez logés et nourris, en échange, on vous demandera simplement de participer aux tâches quotidiennes de la communauté.» Déjà au Liban, le bouche-à-oreille avait éveillé notre curiosité. Attirés par l’idée d’une expérience atypique, nous avons donc pris la route de Nabek («la source»), petite ville triste et esseulée en bordure du désert où les bus ont leur terminus. Le chauffeur nous propose de continuer la route avec nous moyennant quelques livres, et c’est ainsi que nous nous retrouvons sur cette route à lacets, sillonnant les montagnes arides de cailloux et de poussière. Personne, pas un village, pas une voiture, le vent seul, qui épand les sacs plastiques de Nabek dans la steppe et ratisse à l’infini ce paysage d’abandon. Nous passons un col, les sacs plastiques disparaissent, devant nous une plaine immense se dévoile, le caillou s’est changé en sable, et les lumières du couchant se mettent à colorer la matière, ocre jaune, rosé, saumon, rouge. Puis, lorsque nous ne nous y attendons plus, un panneau indiquant «Deir Mar Moussa» surgit au seul et unique embranchement, le minibus bifurque et, au fur et à mesure que l’on s’approche, apparaît la bâtisse de pierre. Au creux d’un canyon, niché contre la paroi rocheuse, le monastère se dresse face à l’immensité, dans une solitude majestueuse. Epousant les formes de la falaise, la citadelle se déploie sur plusieurs niveaux tout en restant ouverte sur le désert, comme pour accueillir les dernières âmes qui s’y seraient perdues.

Arrivé au pied de la montagne, il faut grimper un escalier en pierre de 400 marches avant de passer la porte. Pendant notre ascension, nous croisons un jeune homme grand et blond qui dévale les marches en courant et nous salue. Cette rencontre n’est pas sans nous rassurer, il y a bien des hommes qui vivent ici nous ne sommes pas perdus ! Nous saurons plus tard qu’il s’agit de Barthélémy, le nouveau volontaire agronome qui a quitté ses vignes de Moselle pour le désert syrien à la recherche de nouvelles techniques de récupération d’eau et de renouvellement de la steppe. Encombrés par nos deux gros sacs de voyage, la montée des marches est épuisante, et nous passons avec difficulté le sas d’entrée du monastère, haut d’à peine un mètre. Il faut se courber pour pouvoir passer cette porte, tout un symbole, nous sommes ici bien loin de l’esprit des cathédrales de chez nous.

L’entrée débouche sur une vaste terrasse s’ouvrant sur le panorama du désert et nous atterrissons là, ahuris devant le mouvement des allers et venues. Luis est la première personne qui vient nous accueillir, souriant et avenant. C’est un jeune espagnol qui est «novice» au sein de la communauté Al-Khalil, dans 3 ans si tout va bien il prononcera ses voeux et dédiera sa vie à ce monastère. Luis parle beaucoup, il est ici parce qu’il aime échanger, dialoguer, partager, il est à nos yeux celui qui incarne le mieux le sens du mot «accueil». Nous rencontrons ensuite Carole, la seule moniale du monastère qui nous apporte nos draps pour la nuit et nous explique les quelques règles à respecter ici : la messe du matin est à 7h30, celle du soir à 20h est précédée d’une méditation d’une heure. Nous ne sommes pas obligés d’assister aux messes, mais la communauté préfère que tout le monde soit regroupé dans la chapelle au moins lors de la célébration du soir, et ceux qui n’y participent pas sont priés de rester silencieux. A la sortie des deux messes, les moines doivent trouver la table dressée dans la tente et le repas prêt à être servi : pain, labné (sorte de fromage blanc), olives, huile d’olives, zataar (mélange de graines de sésame et de thym séché) et confiture d’abricot constituent la base des 3 repas quotidiens. Pendant le reste de la journée, chacun est libre de vaquer à ses occupations, balades dans les montagnes, lecture dans la bibliothèque..., tout en restant disponible pour les tâches quotidiennes comme faire la vaisselle, passer le balai, éplucher les légumes, aller nourrir les poules ou s’occuper des fromages de chèvres produits dans la fromagerie à côté du dortoir des hommes. Les femmes et les hommes sont logés dans des bâtiments distincts dont on ferme les portes à clé à 23h précises, il est strictement interdit de s’y balader pendant la journée pour les personnes de sexe opposé. Hormis ces quelques règles à respecter, nous sommes très libres ici, apaisés par cette vie saine et tranquille, et nous pouvons rester aussi longtemps que nous voulons.

La communauté a pour principe d’accueillir tout le monde, d’offrir le gîte et le couvert à toute personne frappant à sa porte, que cette personne soit syrienne ou étrangère, catholique, musulmane, juive ou athée, fille ou garçon, jeune ou vieille... Perdu dans un lieu solitaire, le monastère est paradoxalement peuplé d’une grande multitude. On y trouve des Européens mais aussi des Arabes et beaucoup d’Asiatiques : on dit ici qu’il y a toujours au moins un Coréen par jour. Les gens que l’on croise à Mar Moussa sont de 4 types différents : il y a d’abord les membres de la communauté au nombre de 8 qui vivent ici de manière permanente, auxquels s’ajoute une quinzaine de salariés et volontaires (ouvriers, cuisinier, assistante du père Paolo...), quelques personnes en retraite silencieuse résidant dans un bâtiment à l’écart coupé de l’agitation du monastère, et enfin les visiteurs comme nous, pour la plupart des voyageurs au long-court, des tours du monde ou de la Méditerranée, des Londres-Katmandou ou Edimbourg-Dehli à vélo, des Paris-Jérusalem à pied et à charrette.... Des personnes simplement curieuses, des personnes en recherche spirituelle, des personnes perdues... Tous ces gens forment un mélange bigarré, et quel miracle que cela fonctionne ! Tous les soirs depuis plus de 20 ans sans exception, le gîte et le couvert sont offerts à tous au milieu du désert syrien.

La figure du père
Pour que tout cela tienne, bien sûr, il y a une figure, celle du Père Paolo. Ce jésuite italien d’une soixantaine d’années, a découvert les ruines du monastère quand il avait 27 ans au cours d’un de ses nombreux voyages au Moyen-Orient. Ce jour-là il arrivait à pieds du village de Nabek, et tomba amoureux du lieu qui avait conservé sa petite chapelle décorée de fresques éclatantes du 11ème siècle. Il vint s’y installer seul pour prier dans la chapelle et se recueillir dans les grottes de la montagne qui pendant des siècles avait servi de refuge à toutes sortes d’ermites. Au village de Nabek, les gens le prirent d’abord pour un fou, il y avait même une rumeur disant qu’il était la réincarnation de «Mar Moussa», «Saint Moïse» en arabe, après qu’un des habitants l’ait surpris en train de prier dans cette chapelle délaissée depuis des siècles. Des années durant, Paolo s’est battu pour restaurer la bâtisse et y fonder sa communauté. Remuant ciel et terre, il a toqué à toutes les portes : il fallait d’abord convaincre les habitants alentours à majorité musulmane d’accepter la présence d’une communauté catholique, puis obtenir l’approbation du Vatican et réunir les financements nécessaires à la rénovation du lieu, enfin et surtout obtenir l’aval des autorités religieuses et politiques locales : l'archevêché de Homs et l’Etat syrien.

Depuis notre arrivée, Paolo n’est pas là, mais son nom est dans toutes les bouches. «C’est dommage que Paolo ne soit pas là», «quand Paolo rentrera...» «Paolo, il est parfois un peu fou...». Sans être là il est omniprésent et les brebis ont l’air égarées en son absence. Nous le découvrons finalement dans l’obscurité de la messe du soir et prenons alors toute la mesure du personnage. L’homme est grand, robuste, sa voix est grave et porte fort au loin comme si elle était amplifiée. Ses mains sont immenses et ses pieds nus aussi. Ses gestes liturgiques sont précis, gracieux, il rompt le pain et verse le vin dans une chorégraphie silencieuse, alors que tous les regards sont tournés vers lui et que seul le soubia (chauffage au fioul) ose émettre quelques timides crépitements. Vêtu aux couleurs locales d’une grande jellaba et d’un petit bonnet de coton blanc, seuls ces petites lunettes rondes à la John Lennon rappellent ses origines. Il n’a pas simplement adopté l’habit mais aussi l’attitude, la langue et les intonations. Homme au sang chaud, parfois il hurle et l’on peut voir ses interlocuteurs fuir son bureau en trombe pour éviter un jet de chaise.

La communauté a adopté le rite syriaque avec lequel elle a toutefois pris quelques libertés. On entre dans l’église en se déchaussant et l’assistance suit la célébration à même le sol couvert de tapis et de coussins. On prie et on chante en arabe et en syriaque. Après la lecture des textes, au lieu d’un sermon, chacun est invité à donner son sentiment sur ceux-ci et les moines sont loin d’être les derniers à en dénoncer leur archaïsme quand il se fait jour. Tous les soirs en ce mois de février, Paolo commence la cérémonie par une pensée et un mot pour le peuple égyptien et nous donne les nouvelles du jour «today the army has shooted hundreds of young people, let’s pray for them», «this youth of Egypt are teaching us something»... La seule évocation du peuple égyptien qui se bat pour sa liberté nous fait alors penser au peuple qui n’est pas nommé, le peuple syrien, qui attend en silence son 25 janvier (date de la première manifestation sur la place Tahrir au Caire ).

Fragilités d’une vocation
Aujourd’hui, le monastère accueille des dizaines de milliers de visiteurs par an, il est mentionné dans les principaux guides de voyage (Lonely Planet, Routard), Paolo sillonne les capitales du monde pour y donner des conférences sur le dialogue inter-religieux. En 2006, il a reçu le prix Euro-Méditerranéen pour le dialogue entre les cultures. Difficile à croire que l’homme est parti de rien dans les années 80. Mais, malgré le succès incontestable de cette aventure humaine, de sérieuses interrogations et inquiétudes agitent la communauté.

La communauté n’a d’ailleurs pas peur de faire part aux visiteurs des débats qui l’agitent. Un soir, Paolo débute la messe ainsi : «regardez comme vous êtes nombreux, et nous ne sommes qu’en hiver... combien serez-vous cet été ?» Si la communauté a toujours défendu et mis en pratique les principes de l’accueil et de l’hospitalité, elle est aujourd’hui en quelque sorte victime de son succès et fait face à un risque de sur-population. Or comment concilier une vie de prières et de recueillement avec ce principe indiscutable de l’accueil de tous ? Nous pouvons d’ailleurs comprendre dans une certaine mesure le malaise des moines face aux flux quotidiens des visiteurs quand en seulement 5 jours nous avons pu ressentir le besoin de nous isoler dans la montagne. Tous les jours de nouvelles personnes à accueillir et à qui expliquer le fonctionnement du lieu, car malgré l’anarchie apparente il y a bien une multitude de petites règles qui souvent se transmettent de visiteurs à visiteurs. La question n’est pas nouvelle : dans le passé, la décision de monter la grande tente de la terrasse, destinée à augmenter les capacités d’accueil lors des repas, a donné lieu à beaucoup de débats et a même conduit une moniale à quitter définitivement la communauté. Difficile de trouver la solution optimale permettant de retrouver un certain équilibre à Mar Moussa : Faut-il limiter l’accueil aux seuls séjours à vocation spirituelle ? Construire un nouveau bâtiment en bas de la montagne afin de séparer spatialement les voyageurs curieux des personnes en retraite spirituelle ? Faire supprimer la mention du monastère dans les guides de voyage ? ... Si la question semble insoluble c’est bien qu’elle touche au coeur-même de la vocation de la communauté.

A cela s’ajoute les relations fluctuantes avec des autorités politiques et religieuses déconcertées par ce projet pour le moins farfelu et avec lesquelles il faut savoir composer au quotidien. L’archevêché de Homs n’a d’abord pas vu d’un très bon oeil l’implantation d’un monastère dans lequel moines et moniales vivent ensembles. La construction d’une annexe séparée destinée à l’hébergement des hommes a par la suite permis de calmer le jeu. Par ailleurs, le développement d’un dialogue inter-religieux avec l’Islam est l’un des fondements de la communauté qui se considère comme membre à part entière de l’Oumma, la communauté des croyants pour les musulmans. Cette position hétérodoxe est très mal comprise par les autorités chrétiennes locales. En effet, les Chrétiens d’Orient, représentant en Syrie 10% de la population, ont développé depuis des siècles un esprit de résistants de la foi chrétienne. De fait, l'archevêché de Homs n’a toujours pas reconnu, dans la charte fondatrice de l’ordre de Paolo, la partie relative aux rapports avec l’Islam. Il y a donc un espèce de «vide juridique» concernant le statut officiel de cet ordre qui est reconnu par le Vatican, l’autorité suprême au sein du clergé, mais pas par son supérieur hiérarchique direct. Enfin, les nombreux combats politiques de Paolo au sein de la communauté chrétienne de Syrie, comme la dénonciation d’actes pédophiles de hauts responsables religieux, ou du détournement d’argent par une association religieuse, provoque régulièrement des remous. Paolo est la petite puce qui ne cesse de démanger un clergé susceptible et peu habitué à la transparence.

Enfin, la communauté doit également composer avec l’Etat syrien peu réputé pour son ouverture et sa tolérance. Une communauté dirigée par un étranger et qui ouvre ses portes à tous les voyageurs hippys du monde entier a tôt fait d’inquiéter un pouvoir adepte de la théorie du complot extérieur. Paolo, avec sa grande gueule et ses nombreux soutiens tant en Syrie qu’à l’étranger, est perçu par le pouvoir comme un agitateur. Des rumeurs les plus abracadabrantes circulent sur son compte : certains prétendent même qu’il serait un espion israélien ! Pour tenter de contrôler l’ouverture du monastère vers l’extérieur, le pouvoir de Bachar use de divers stratagèmes plus ou moins efficaces. Il met des bâtons dans les roues au développement du monastère en interdisant la construction d’un nouveau bâtiment destiné à augmenter ses capacités d’accueil. Par ailleurs, depuis quelques années, 2 moukhabarats (agents de la police politique) squattent en permanence dans leur voiture au pied de la montagne, on peut les apercevoir du haut de la terrasse tels de petits pions ridicules. Tous les deux jours ils montent les 400 marches pour venir récupérer les photocopies des passeports de tous les visiteurs séjournant à Mar Moussa. Quelques paperasses supplémentaires et du temps perdu pour la communauté, à défaut de pouvoir censurer les discussions autour du feu. Parfois les moukhabarats débarquent par surprise au monastère et questionnent les jeunes volontaires sur les raisons de leur séjour. Enfin, les autorités usent également de leur pouvoir en octroyant ou refusant des visas aux membres de la communauté, et ces derniers temps, depuis que le printemps arabe a soulevé le peuple syrien, Paolo en personne ne peut plus quitter le pays avec la certitude de pouvoir y revenir.

Communauté d’illuminés ou avant-garde éclairée, chacun pourra se faire son opinion. Pour nous, qui ne sommes pourtant pas croyants, Mar Moussa est une étape à part dans notre voyage où nous avons trouvé un peu de chaleur en plein hiver. Une expérience qui nous rappelle qu’il n’y a pas d’espoir sans un brin de folie ardente et que les plus beaux projets sont aussi les plus fragiles.

dimanche 15 mai 2011

Mise en abîme

Lors de notre passage à Thessalonique en Octobre dernier nous avons rencontré Michaelis, jeune journaliste, qui mène un projet d’amélioration de la qualité de vie à Thessalonique dont nous avions parlé sur ce blog (Cf. notre chronique : Thessalonique une jeunesse impatiente). A l’époque, il nous avait proposé de faire un portrait de nous qu’il espérait faire publier dans l’édition dominicale d’un grand quotidien national grec. Nous avions accepté et nous nous étions même prêtés au jeu d’une séance de photos avec un photographe professionnel (voir plus bas les photos de la séance photo). C’est ainsi qu’on s’était retrouvé un petit matin très froid à poser avec nos gros sacs, sur un ponton vermoulu au bord de l’eau. L’article a finalement été publié en avril dernier dans un mensuel régional et est illustré des photos que nous lui avions fournies et non de celles réalisées par le photographe professionnel... Aurions-nous été meilleurs que ce dernier ? Quoiqu’il en soit nous remercions chaleureusement Michaelis pour son travail qui, par ailleurs, nous met plutôt en valeur.

Et puis, à l’heure qu’il est c’est un bel exercice de mise en abîme que de lire cet article. D’abord parce qu’il nous permet de voir comment nous pouvons être perçus par les gens que nous rencontrons. Et puis, surtout parce qu’il nous donne à voir le chemin parcouru : l’itinéraire a été pas mal modifié, les publications sur notre blog se sont raréfiées (même si nous travaillons ardemment à pallier à ce problème) et la perspective du retour et les questions qui l’accompagnent se dessinent chaque jour un peu plus.
 
Nous publions ci-dessous une traduction de cet article (réalisée par Iliana Pistoli que nous remercions au passage) agrémentée de nos commentaires rédigés en rouge, avec toutes nos excuses à Michaelis pour avoir sauvagement malmené son texte (c’est tellement plus facile de détruire un texte que d’en écrire un !). Pour ceux qui parlent le grec (ou pas), vous pouvez consulter l’article en cliquant sur l'image ci-dessus, ou encore feuilleter le magazine Parallaxi du mois d’Avril dans lequel le portrait est publié, en cliquant ici.


Voyageurs en Méditerranée, par Michaelis Goudis

Peu avant que les Français ne descendent massivement dans les rues pour protester contre la politique de Nicolas Sarkozy, un jeune couple décidait de laisser sa vie à Paris pour se lancer dans une errance autour de la Méditerranée...

« En rentrant du boulot dans notre petit, mais trop cher, appartement, Chloé me disait souvent emmène-moi loin d’ici ! Alors, on a décidé en commun de partir cette année et de prendre un nouveau départ en voyageant ». Nous marchons avec Laurent Raffier et Chloé Renault sur la plage embrumée de Thessalonique et ils me racontent une histoire qui ressemble à un conte de notre époque.

Combien de couples prendraient le risque de quitter deux emplois bien rémunérés et une vie confortable... pour un voyage ? Peut-être du point de vue d’un jeune grec dont le pays est acculé par la crise, pour nous ça nous paraissait somme toute banal... Chloé me répond : « Ce n’est pas un simple voyage », et elle continue : « nous voulions changer nos vies radicalement, voir ce que nous pouvions faire d’autre ». Laurent ajoute : « c’est une expérience pour mettre à l’épreuve nos capacités et notre personnalité ». Lui-même a travaillé pendant quatre ans comme consultant pour une entreprise de sondages (bon, comme beaucoup d’autres, il a pas très bien compris, alors je répète : j’étais consultant en évaluation de politiques publiques, capice ?) et Chloé était responsable de relations publiques d’un théâtre à Paris (bon là on y est presque. C’est une compagnie de théâtre pour être exact). « On ne voulait plus que d’autres personnes profitent du résultat de notre travail », me disent-ils presque en même temps. Nous n’avons pas le souvenir d’avoir dit ça, mais c’est possible. Surtout que nos anciens employeurs se rassurent nous n’avons jamais pensé qu’ils aient pu voler le fruit de notre travail.

Leur volonté s’illustre aussi dans leurs actions. En septembre dernier, Laurent et Chloé ont quitté leurs obligations professionnelles et ont décidé de voyager autour de la Méditerranée. Toutefois, leur but n’est pas de faire du tourisme. Ou plutôt, ce n’est pas seulement le tourisme. Ils se considèrent comme des voyageurs et ils insistent beaucoup sur cette distinction entre touristes et voyageurs. Bon on développe pas la question, vous nous avez compris hein ? D’ailleurs, le programme de leur voyage confirme leurs arguments. Merci.


Photos de Michaelis Goudis
Les deux grands sacs à dos qu’ils portent avec eux ne sont pas pleins de vêtements, mais ils ont assez d’espace pour leur équipement qui comprend des caméras, des appareils photo, des carnets et des ordinateurs portables. Ouais, enfin faut pas exagérer, on a un ordinateur et un appareil photo pour deux que l’on se dispute régulièrement ! Et on a aussi quelques slips de rechange, quand même ! Ils donnent l’impression qu’ils ont commencé à faire un photo-reportage inspiré du maître d’espèce, Richard Kapisinsi. C’est qui lui ? Connait pas ! Ça doit être un Grec parce que même le Google latin n’a rien à nous dire à son sujet. En réalité, l’intention de Chloé et Laurent est de réaliser des portraits des résidents des pays méditerranéens afin de montrer les caractéristiques communes des peuples de la Méditerranée, ainsi que leurs différences. Bon à l’heure d’aujourd’hui, c’est pas vraiment gagné. Ils publient leurs observations sur leur blog intitulé « Chroniques méditerranéennes », où on peut voir des photos, ainsi que la route qu’ils empruntent grâce à une carte créée spécialement à cet effet.

Leur choix de voyager seulement en bateau a sa propre valeur sémiotique. Houla, un mot compliqué, heureusement on a fait science po. Evidemment, ça n’est pas toujours une mince affaire. « Pour aller au Liban, il va falloir peut-être voyager en cargo, mais ça ne nous effraye pas ... », me dit Laurent en souriant. Finalement on a pris l’avion, c’était plus simple ! Les cargos embarquant des voyageurs suivent des itinéraires bien précis qui ne collent pas avec le notre. Ce n’est pas seulement parce que le bateau est la meilleure façon pour faire l’expérience absolue du voyage, mais aussi parce que leur budget est sévèrement défini. « On a fait des économies pendant quatre ans et on espère que cet argent sera suffisant, sinon ça serait bien de travailler dans l’un des pays que nous traverserons », constate Chloé qui me confie qu’ils ont réussi à rassembler environ 25 000 €. Et voilà un secret bien gardé qui s’étale au grand jour, que vont dire les gens !


On n'a pas l'air con !
L’attitude de leurs familles et de leurs amis a conforté les voyageurs dans leur décision. «Tous étaient, ou du moins, paraissaient favorables», dit plutôt craintivement Laurent qui conserve encore des doutes à propos de sa famille et leur approbation de ce voyage qui place sa vie en dehors des cadres. Papa, Maman, ne m’en voulez pas. Pourtant, c’est peut-être la liberté qui pose les plus grands obstacles. Ça c’est bien dit. « De nos jours, on a l’habitude d’être dépendant de notre travail. Par conséquent, tu te sens un peu coupable parce que tu ne travailles pas et tu en arrives à te demander si tout abandonner était un bon choix... », cogite Chloé, au moment où Laurent, sûr de leur choix, affirme que « ce voyage est la meilleure façon d’atteindre bel et bien l’âge adulte ». Pas sûr qu’on ait déjà atteint l’objectif, ou même qu’on l’atteindra un jour. Peu après, au moment où Chloé prend une photographie du nouveau Conservatoire de musique de Thessalonique, Laurent me confie sa seule crainte : « c’est un peu bizarre que tous tes rêves dépendent d’un morceau de papier qui s’appelle passeport ».

Le voyage de Chloé et Laurent a commencé le 30 septembre 2010 depuis Paris. 7 mois et demi déjà ! Leur première destination a été Venise et après ils ont passé presque un mois en Grèce, au Péloponnèse, à Athènes, à Thessalonique et à Limnos. Leurs prochaines étapes sont Chypre (on n’y est pas allé finalement), la Turquie, le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’Egypte (où nous sommes au moment où nous publions cet article), la Tunisie, le Maroc, l’Algérie  (où nous n’irons pas à cause de problèmes de visa) et l’Espagne.