Une épave allemande à Amman
Nous quittons Damas le 6 mars en milieu d’après-midi dans un taxi collectif que nous partageons avec deux jordaniennes. Au poste frontière, les douaniers jordaniens sont nettement plus minutieux que leurs homologues syriens passant en revue chaque bagage, chaque véhicule. Nous arrivons à Amman de nuit où nous nous rendons dans le quartier de l’Université jordanienne. En effet, lassés par un mois et demi de voyage itinérant en Syrie, nous avons décidé de louer un appartement dans la capitale et nous avons trouvé une offre de colocation sur internet à un prix dérisoire près de l’Université. Le logement est tenu par une Allemande, ce qui inconsciemment nous rassure, mais il nous suffit de franchir le seuil de la porte pour comprendre notre erreur ! L’Allemande en question est en réalité une femme à chats, à l’image de ces personnages de films américains qui, fuyant la compagnie des hommes, se réfugient dans l’indifférence câline des félins et terrifient les enfants. L’appartement à la chatière grande ouverte accueille ainsi tous les chats errants du quartier, il y en a partout, dans la baignoire, sur le frigidaire, sur les canapés et leurs poils forment comme un second pelage sur les vêtements de notre hôte (sans parler des relents de pisse qui émanent de la salle de bain). Curieux personnage comme échoué sur une plage hostile et qui nous abreuve de préjugés sur les musulmans et les arabes allant même jusqu’à nous affirmer que notre douce France serait condamnée, du fait de l’émigration, à devenir une république islamique !
C'est raté pour l'authenticité !
Nous décidons donc de mettre les voiles le plus rapidement possible et le quartier de l’université s’avère un lieu propice pour trouver, sans délai, un hébergement de substitution. Nous louons donc un petit appart-hôtel tout équipé avec balcon, télévision et même lave-linge ! Mais le quartier ne tient pas toutes ses promesses, là où nous pensions trouver des lieux de convivialité animés par la vie étudiante, ne poussent que des enseignes américaines et des banques : MacDo tirant la bourre à Burger King avec des prix en conséquence. Au-delà, le coin s’apparente à une cité-dortoir pour les jeunes jordaniens qui ont les moyens d’honorer les tarifs exorbitants de l’Université. Après l’authentique Syrie, résistante à l’impérialisme américain autant que boycottée par les Etats-Unis, nous voici tombés en plein coeur du néolibéralisme arabisé.
Sous la pluie froide de mars, le charme d’Amman est difficile à saisir, d’autant que nous réalisons un peu tardivement que nous sommes logés à quelques 12 km du centre historique abritant quelques ruines antiques (Théâtre et forteresse), la mosquée Hussein et le souk attenant. Il y a un siècle la cité n’accueillait que quelques milliers d’habitants avant de devenir la capitale du royaume hachémite fondé après la 1ère Guerre mondiale. A compter de cette date elle ne cessera de s’étendre avec l’arrivée de vagues successives de réfugiés palestiniens (la moitié de la population) puis irakiens, et la sédentarisation des bédouins dont certains font toujours paitre leurs bêtes dans quelques terrains vagues coincés entre deux constructions modernes. La population de la ville s’élève désormais à plus de 3 millions d’habitants ! Là encore, le contraste avec les grandes villes syriennes est saisissant : pas de véritable culture urbaine, d’artisanat local, ni de souks et ruelles millénaires... L’identité jordanienne reste une question ouverte, brûlante parfois.
Zenga Zenga
Mais il fait froid, dehors la musique mélancolique annonçant le passage du vendeur de gaz retentit dans chaque coin de la ville une bonne dizaine de fois par jour. Sur les écrans de télévision et dans les auto-radios des taxis retentissent les premiers cris de liberté des Syriens à Deraa, ceux de Bahreïn et du Yemen, mais surtout les armes des rebelles libyens qui, après une avance rapide, reculent désormais tandis que la communauté internationale tergiverse. Et puis il y a cette énorme vague qui emporte en direct des villes entières au Japon et qui déclenche un autre feuilleton : celui, nucléaire, de Fukushima. Finalement, les occidentaux se lancent en Libye et les réactions des Jordaniens sont très contrastées, certains ne voient pas d’un mauvais oeil cette intervention puisqu’elle ne s’accompagne pas d’isti’amar (الاستعمار), terme désignant à la fois occupation militaire et colonisation. D’autres qualifient Sarkozy de meurtrier. Mais tous s’accordent sur la folie de Qadafi qu’ils résument en reprenant l’une de ses déclarations : “Zenga zenga”, dans laquelle il affirme, fusil à la main, qu’il va reconquérir le pays “ruelle par ruelle”. La Jordanie n’est d’ailleurs pas épargnée par les mobilisations politiques du printemps arabe : outre les revendications catégorielles qui se multiplient, chaque vendredi ont lieu des manifestations importantes appelant à la démocratisation du régime. En ce mois de Mars, elles atteindront leur paroxysme le jeudi 24, lorsqu’un groupe de jeunes installe un sit-in permanent sur le rond-point du Ministère de l’intérieur revendiquant la fin de l’emprise des services de sécurité sur la vie politique et sociale, une justice indépendante et un fonctionnement démocratique des institutions du pays. Le lendemain, des manifestants pro-régime interviennent violemment pour les déloger à coups de bâtons et de jets de pierre, visant au passage les journalistes sous l’oeil impassible de la police. Le bilan est de plusieurs dizaines de blessés et d’un décès, attribué par le pouvoir à une crise cardiaque...
Nous profitons des éclaircies pour explorer la ville et ses alentours : les collines du centre ville plus jeunes et vivantes comme Jebel Amman, avec ses cafés et terrasses où les jeunes jordaniens, guitares à la main, reprennent du Bob Dylan, et Jebel Webdeh avec ses sympathiques galeries d’art contemporain. Et nous nous rendons à Jerash à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Amman pour voir la couleur que prennent dans ce pays les vieilles pierres romaines et croiser quelques bédouins dont les chèvres raffolent des fleurs printanières qui éclosent au milieu des ruines. Pour rallier la ville nous suivons l’exemple des Jordaniens qui, pour palier au sous-développement chronique des transports publics, font du stop en échange de quelques Dinars.
Nous faisons peu de rencontres à Amman. Il y a bien Mamdou, ce jeune étudiant qui nous indique notre chemin dans le bus et avec qui nous échangeons notre numéro de téléphone. Mais après quelques rencontres nous avons épuisé tous les sujets qu’autorise notre faible maîtrise respective de l’Arabe et de l’Anglais. Laurent reprend contact avec une société jordanienne avec laquelle il avait travaillé 3 ans plutôt. La directrice lui propose de donner une formation de plusieurs jours sur l’évaluation des politiques publiques. L’occasion de faire connaissance avec une équipe jeune, enthousiaste et très féminine, mais aussi de se plonger dans une problématique qui fait écho aux révolutions arabes : la transition démographique jordanienne et les politiques qui l’accompagnent (The demographic opportunity, a policy document). De fait, si l’Etat jordanienne affiche une volonté d’anticiper l’arrivée massive d’une nouvelle classe d’âge sur le marché du travail, il est totalement passé à côté des conséquences politiques de cette évolution : le puissant désir de ces jeunes de participer à la vie publique !
Sous la pluie froide de mars, le charme d’Amman est difficile à saisir, d’autant que nous réalisons un peu tardivement que nous sommes logés à quelques 12 km du centre historique abritant quelques ruines antiques (Théâtre et forteresse), la mosquée Hussein et le souk attenant. Il y a un siècle la cité n’accueillait que quelques milliers d’habitants avant de devenir la capitale du royaume hachémite fondé après la 1ère Guerre mondiale. A compter de cette date elle ne cessera de s’étendre avec l’arrivée de vagues successives de réfugiés palestiniens (la moitié de la population) puis irakiens, et la sédentarisation des bédouins dont certains font toujours paitre leurs bêtes dans quelques terrains vagues coincés entre deux constructions modernes. La population de la ville s’élève désormais à plus de 3 millions d’habitants ! Là encore, le contraste avec les grandes villes syriennes est saisissant : pas de véritable culture urbaine, d’artisanat local, ni de souks et ruelles millénaires... L’identité jordanienne reste une question ouverte, brûlante parfois.
Zenga Zenga
Mais il fait froid, dehors la musique mélancolique annonçant le passage du vendeur de gaz retentit dans chaque coin de la ville une bonne dizaine de fois par jour. Sur les écrans de télévision et dans les auto-radios des taxis retentissent les premiers cris de liberté des Syriens à Deraa, ceux de Bahreïn et du Yemen, mais surtout les armes des rebelles libyens qui, après une avance rapide, reculent désormais tandis que la communauté internationale tergiverse. Et puis il y a cette énorme vague qui emporte en direct des villes entières au Japon et qui déclenche un autre feuilleton : celui, nucléaire, de Fukushima. Finalement, les occidentaux se lancent en Libye et les réactions des Jordaniens sont très contrastées, certains ne voient pas d’un mauvais oeil cette intervention puisqu’elle ne s’accompagne pas d’isti’amar (الاستعمار), terme désignant à la fois occupation militaire et colonisation. D’autres qualifient Sarkozy de meurtrier. Mais tous s’accordent sur la folie de Qadafi qu’ils résument en reprenant l’une de ses déclarations : “Zenga zenga”, dans laquelle il affirme, fusil à la main, qu’il va reconquérir le pays “ruelle par ruelle”. La Jordanie n’est d’ailleurs pas épargnée par les mobilisations politiques du printemps arabe : outre les revendications catégorielles qui se multiplient, chaque vendredi ont lieu des manifestations importantes appelant à la démocratisation du régime. En ce mois de Mars, elles atteindront leur paroxysme le jeudi 24, lorsqu’un groupe de jeunes installe un sit-in permanent sur le rond-point du Ministère de l’intérieur revendiquant la fin de l’emprise des services de sécurité sur la vie politique et sociale, une justice indépendante et un fonctionnement démocratique des institutions du pays. Le lendemain, des manifestants pro-régime interviennent violemment pour les déloger à coups de bâtons et de jets de pierre, visant au passage les journalistes sous l’oeil impassible de la police. Le bilan est de plusieurs dizaines de blessés et d’un décès, attribué par le pouvoir à une crise cardiaque...
Nous profitons des éclaircies pour explorer la ville et ses alentours : les collines du centre ville plus jeunes et vivantes comme Jebel Amman, avec ses cafés et terrasses où les jeunes jordaniens, guitares à la main, reprennent du Bob Dylan, et Jebel Webdeh avec ses sympathiques galeries d’art contemporain. Et nous nous rendons à Jerash à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Amman pour voir la couleur que prennent dans ce pays les vieilles pierres romaines et croiser quelques bédouins dont les chèvres raffolent des fleurs printanières qui éclosent au milieu des ruines. Pour rallier la ville nous suivons l’exemple des Jordaniens qui, pour palier au sous-développement chronique des transports publics, font du stop en échange de quelques Dinars.
Nous faisons peu de rencontres à Amman. Il y a bien Mamdou, ce jeune étudiant qui nous indique notre chemin dans le bus et avec qui nous échangeons notre numéro de téléphone. Mais après quelques rencontres nous avons épuisé tous les sujets qu’autorise notre faible maîtrise respective de l’Arabe et de l’Anglais. Laurent reprend contact avec une société jordanienne avec laquelle il avait travaillé 3 ans plutôt. La directrice lui propose de donner une formation de plusieurs jours sur l’évaluation des politiques publiques. L’occasion de faire connaissance avec une équipe jeune, enthousiaste et très féminine, mais aussi de se plonger dans une problématique qui fait écho aux révolutions arabes : la transition démographique jordanienne et les politiques qui l’accompagnent (The demographic opportunity, a policy document). De fait, si l’Etat jordanienne affiche une volonté d’anticiper l’arrivée massive d’une nouvelle classe d’âge sur le marché du travail, il est totalement passé à côté des conséquences politiques de cette évolution : le puissant désir de ces jeunes de participer à la vie publique !
30 ans à Pétra
Mais, notre séjour en Jordanie c’est aussi et surtout la visite de la famille de Chloé venue célébrer avec nous ses 30 ans ! Cécile, Jacky, Jean-Gilbert, Thomas et Lina débarquent en pleine nuit pour un road trip de 5 jours concocté par nos soins et mené tambour battant avec la complicité de Rami, le chauffeur de notre minibus. Nous commençons par nous laisser flotter dans les eaux hyper salées de la Mer morte et nous enduire de ses boues réputées. Le soir dans un resto de Madaba, Jacky radine sur le pourboire. Le lendemain, nous plongeons plein sud pour passer 2 jours sur le site antique de Petra où nous fêtons le 30ème printemps de Chloé. Cécile s’arrête régulièrement pour tracer les esquisses de futures aquarelles et, alors que nous nous dirigeons vers les hauteurs du monastère, Thomas passe à deux doigts de tuer un âne. Enfin, nous passons une nuit dans le célèbre Wadi Rum où Lawrence d’Arabie s’est évertué à unifier les tribus bédouines pendant la 1ère Guerre mondiale. Le désert est en fleur, les chameaux sont en liberté, les pattes avant à peine entravées pour ne pas trop s’éloigner, et les dernières générations de bédouins reconvertis en animateurs de camps de vacances baladent les bons touristes que nous sommes. De son côté, Lina, convertie à l’Islam, connait un franc succès auprès des Jordaniens, ravis de voir une occidentale porter le voile. De retour à Amman, alors que les filles sont au hammam, Jean-Gilbert casse la dernière bouteille de vin en voulant l’ouvrir sans tire-bouchon, véritable crime pour qui connait le prix de cette denrée «haram» sur le marché jordanien. Enfin, après un dernier repas autour d’un copieux mansaf (agneau bédouin aux amandes cuit dans du yaourt) la petite famille repart vers la France.
Notre séjour s’achève sur une explosion de fleurs printanières avec la découverte des réserves naturelles d’Ajloun et ses paysages méditerranéens et de Danaa aux formes lunaires. Car, si la Jordanie ne nous a pas séduite par sa richesse urbaine et culturelle, ses paysages à couper le souffle et sillonnés sans relâche pendant des siècles par ses tribus bédouines nous ont donné à voir l´âme encore sauvage du pays. Enfin, nous descendons jusqu’à Aqaba pour rejoindre la Mer rouge d’où nous prenons le bateau pour rejoindre le Sinaï. A nous l’Egypte !
Notre séjour s’achève sur une explosion de fleurs printanières avec la découverte des réserves naturelles d’Ajloun et ses paysages méditerranéens et de Danaa aux formes lunaires. Car, si la Jordanie ne nous a pas séduite par sa richesse urbaine et culturelle, ses paysages à couper le souffle et sillonnés sans relâche pendant des siècles par ses tribus bédouines nous ont donné à voir l´âme encore sauvage du pays. Enfin, nous descendons jusqu’à Aqaba pour rejoindre la Mer rouge d’où nous prenons le bateau pour rejoindre le Sinaï. A nous l’Egypte !