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mardi 30 novembre 2010

Thessalonique : une jeunesse impatiente


Le 14 novembre dernier, à l’issue des élections municipales grecques, l’écologiste Yiannis Boutaris a été élu maire de Thessalonique avec seulement 419 voix d’avance sur son rival conservateur. C’est une petite révolution pour la ville dirigée par les conservateurs depuis 24 ans. 24 ans, c’est précisément l’âge de Michaelis et Elisabeth qui n’ont toutefois pas attendu ces élections pour consacrer leur énergie à faire évoluer leur ville natale. Ce jeune couple fraîchement sorti d’études de journalisme, nous a ainsi fait découvrir sa ville et, au cours de nos déambulations, nous a montré tout l’attachement qu’ils ressentaient pour elle.

Capitale des Balkans
Après la tentaculaire Athènes, flâner dans les rues de Thessalonique offre un vrai bol d’air : le contraste entre les deux cités nous évoque la différence de qualité de vie entre Paris et Lyon. Port ouvert sur le nord de la Mer Egée, la ville est nichée au creux du golfe Thermaïque, comme un bras étreignant la mer. Le paysage urbain, d’apparence anarchique, dissimule de nombreuses ruines antiques et de vielles églises byzantines encerclées, parfois étouffées, par de hauts immeubles contemporains. Reconstruite en 1917 suite à l’incendie qui ravagea la vieille ville, c’est l’architecte Français Ernest Evrard qui lui a donné son visage actuel en traçant de grands artères parallèles, telles les piétonnes Aristotellous et Gounaris, qui relient la vieille ville sur la colline en surplomb et le front de mer. Cette organisation simple permet au visiteur de toujours se repérer par rapport à la mer et donne l’impression agréable d’une ville aérée et facile à appréhender.

Sur la corniche récemment réaménagée toutes les générations se croisent, fascinées par le spectacle de la mer agitée les jours de houle et des lumières éblouissantes du couchant. Ici, il y a un siècle se mélangeaient juifs séfarades, Turcs musulmans, Grecs Orthodoxes, Bulgares et Occidentaux faisant de Thessalonique la capitale des Balkans. Mais, à l’image de la Turquie et de la Grèce d’aujourd’hui, la ville a été homogénéisée : conséquence de la «Grande catastrophe». En 1923, après la défaite de la Grèce face à la Turquie, un accord d’échanges de population est conclu amenant 1,5 millions de Grecs orthodoxes à quitter l’Anatolie, où ils vivaient depuis plusieurs millénaires, et inversement les Turcs musulmans doivent s'exiler de Grèce. Parmi ces victimes de la construction des Etats-nations, les arrières-grands-parents d’Elisabeth, qui vivaient dans la région de Pontou située au Sud-Est de la Mer noire, ont ainsi été contraints de s’installer à Thessalonique. Plus tard, la déportation à Auschwitz de la quasi-totalité de la communauté juive a en quelque sorte achevé ce processus d’homogénéisation culturelle de la ville. Aujourd’hui, avec une agglomération d’un peu plus d’un million d’habitants, Thessalonique est la seconde ville de Grèce et, suite à l’élargissement vers l’est de l’Union Européenne, la cité renoue avec sa vocation de capitale régionale. Les échanges économiques se multiplient avec la Bulgarie : les Saloniciens franchissent ainsi fréquemment la frontière bulgare pour aller faire des achats, implanter des entreprises, profiter des stations de ski ou simplement faire un plein d’essence.

Amoureux de leur ville, Michaelis et Elisabeth portent sur elle un regard critique d’autant plus aiguisé, pointant notamment les problèmes liés au transport. Avec 900 000 déplacements quotidiens effectués en voiture et seulement 1 Salonicien sur 4 utilisant les transports en commun, uniquement constitués de bus, les rues sont constamment obstruées par la circulation et le stationnement anarchique (66% des véhicules sont stationnés illégalement). Ce qui a également des conséquences en terme de pollution : la concentration des particules polluantes dans l’atmosphère dépassant les seuils fixés par l’Union Européenne en moyenne 250 jours par an ! Pour le jeune couple, la ligne de métro actuellement en construction qui couvrira le centre ville ne résoudra que très partiellement le problème lié à l’étalement de l’agglomération. Il rappelle également que la géographie de la ville plaide naturellement pour le développement de transports publics maritimes qui existaient d’ailleurs jusque dans les années 50/60. A ce titre, la municipalité a enfin envisagé la création de deux lignes maritimes : l’une omnibus longeant la corniche et l’autre reliant le port à la ville périphérique de Kalamaria. Un autre problème important a trait au manque d’espaces publics et d’espaces verts, en effet on y compte seulement 2,5 m2 d’espace vert par habitant en y intégrant les forêts alentours !

Thessalonique autrement
Alors, quand pour son 20ème anniversaire, le journal local Parrallaxis pour lequel il travaille a décidé d’organiser plus qu’une simple fête d’anniversaire mais tout une série d’évènements d’envergure pour ‘changer la ville’, c’est tout naturellement que Michaelis s’est lancé corps et âme dans l’aventure. Avec une dizaine d’autres personnes, ils forment le noyau dur du projet Thessaloniki Allyos, ‘Thessalonique autrement’ qui pendant deux jours, les 5 et 6 Juin dernier, a changé le visage de la ville au rythme de 65 opérations, 15 interventions architecturales et artistiques, 16 concerts, 10 spectacles de théâtre, des spectacles de rue et des déambulations en vélo et à roller mobilisant plus de 250 bénévoles et 30 000 participants.

Nous sommes revenus avec Michaelis et Elisabeth sur les quelques lieux où se sont déroulés les évènements les plus significatifs à leurs yeux. Ils nous font découvrir ces bâtiments art-nouveau du début du siècle dernier, laissés à l’abandon, piégés entre de grands immeubles modernes qui les effacent. En juin dernier, ces bâtisses ont été investies par des architectes analysant leurs structures et expliquant leur histoire sur des posters et par des musiciens y donnant des concerts. Un peu plus loin, la lugubre rue Ernest Evrard, étroite allée bordée d’immeubles à moitié abandonnés qui correspond à «tout ce que la ville a fait pour rendre hommage à celui qui lui a donné son visage actuel», a été illuminée de dizaines de petites loupiotes suspendues, dans une ambiance qui rappelle la fête des lumières lyonnaise. Plusieurs centaines de personnes se sont alors rendues dans cette ruelle enchantée pour assister à une soirée avec concert de swing et spectacle de flamenco au programme. Enfin, Michaelis nous emmène sur une petite placette plantée de quelques arbres et de bancs publics, il explique fièrement qu’avant, il n’y avait rien ici, seulement une rangée de conteneurs à ordures. Nous nous asseyons sur l’un des bancs, en face de nous deux vieux sont assis et discutent, apostrophent un voisin qui passe... Pour Michaelis, c’est la réalisation la plus emblématique de Thessaloniki allyos, celle qui illustre le mieux le nouveau visage que pourrait prendre la ville : une ville plus ouverte, plus chaleureuse truffée d’espaces publics hospitaliers. Mais ça n’a pas été simple, il a d’abord fallu convaincre les habitants au terme de longues heures de discussion, lever la méfiance et l’incompréhension à l’égard de ces jeunes qui veulent changer la ville bénévolement ! Mais, finalement, ils ont accepté et certains ont même mis la main à la patte : tel commerçant tirant une rallonge pour que l’équipe ait de l'électricité, tel autre apportant le café ou de quoi se restaurer. Les lignes ont bougé, les habitants se sont investis pour leur quartier et même s’il ne s’agit là que d’un espace de 100 m2 pourquoi cette dynamique ne s’étendrait-elle pas à toute la ville ? Le projet a tout de même rencontré ses limites : l’équipe de Thessaloniki allyos souhaitait que des étudiants en Arts plastiques réalisent une grande fresque murale sur le crépis défraîchi de l’immeuble qui surplombe la nouvelle placette. Des volontaires ont passé plusieurs jours dans l’immeuble à frapper à chaque porte, tentant de convaincre du bien fondé du projet, mais ces efforts n’ont pas abouti. Aujourd’hui on peut lire sur ce mur un tag révélateur : «Pensons l’impossible avant qu’il soit impossible de le penser»...

Alors, même si ce nouveau maire suscite l’espoir et quoi qu’il advienne des politiques, pour Michaelis et Elisabeth c’est aux habitants, par leurs initiatives, de changer leur ville. Pleine d’énergie et d’envies, mais méfiante envers les institutions, cette jeunesse impatiente développe sa propre philosophie émancipatrice reposant sur l’auto-organisation des citoyens : «Si je veux changer quelque chose, je dois prendre les choses en mains sans rien attendre de l'Etat et essayer de faire quelque chose par moi-même avec mes amis, avec mes voisins...», «Se plaindre ne suffit plus, c'est le moment de passer à l’action, de s’organiser, de former des groupes plus ou moins nombreux rassemblant des gens qui veulent les mêmes choses et de passer à l’action pour que les choses changent. Je pense que c’est tout à fait possible aujourd’hui.» Et la dynamique est lancée, Thessaloniki allyos devrait bientôt prendre la forme d’une véritable organisation pérenne et aujourd’hui, 5 mois après l’évènement, les demandes affluent toujours pour prendre part au mouvement.



Source des données chiffrées sur les transports à Thessalonique : http://peiratesalonica.blogspot.com/

1 commentaire:

  1. Bravo à Elisabeth, Michaelis et leurs amis pour leur projet "Thessalonique autrement". Je leur souhaite d'y entraîner beaucoup de jeunes et moins jeunes.
    Quant à vos photos elles réveillent beaucoup de souvenirs et me font rêver. Je vous suis en images et en pensées.
    Chantal

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