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jeudi 9 décembre 2010

La fabrique du Tsipouro

Sur un morceau de papier griffonné par un ami, nous avions juste le nom d’un village de l’île de Lemnos, Pedhino, et le nom d’une cave, Kremidas... Après une recherche ardue mais fructueuse sur la carte de l’île, nous nous lançons sur la route du Tsipouro, cet alcool  claire comme de l’eau de vie, légèrement sucré et très doux, dont tous les Grecs que nous avons rencontrés raffolent. Arrivés dans le village de Pedhino, nous ne tardons pas à repérer une pancarte indiquant la direction de la cave par chance en alphabet latin. Nous arrivons sur place, bien entendu les lieux sont vides, mais il y a un numéro de téléphone scotché sur la fenêtre, ni une ni deux nous appelons et fixons un rendez-vous avec notre interlocuteur 6 heures plus tard. A la nuit tombée, nous retournons donc sur les lieux et notre ‘contact’ accepte de nous montrer sa machine. Nous le suivons en voiture jusque dans le centre du petit village, il ouvre la porte d’une vielle maison encombrée d’ustensiles poussiéreux que nous traversons pour rejoindre une espèce de grange. L’odeur de raisin confit est puissante et, à la lumière d’une vieille lampe, nous découvrons la distillerie : la machine à faire le Tsipouro.

Notre contact, un homme d’une bonne cinquantaine d’années, l’air jovial et passionné, se lance dans une explication très complète du processus de distillation. Il nous présente fièrement sa machine datée de 1935  qui fonctionne au feu de bois et permet de produire 45 litres du précieux alcool à chaque distillation. Celle-ci se déroule en 2 étapes : la première consiste à distiller le marc du raisin  (ce qu'il reste de raisin après qu'on en est fait du vin) dilué dans un peu de vin pendant 4 heures environ. Puis, le produit de cette première distillation mélangé à du sirop d’anis est de nouveau distillé. Cette seconde étape permet d’obtenir un Tsipouro plus pur et plus claire. En fait, nous comprenons qu’il y a à peu près autant de manières de produire du Tsipouro qu’il existe de producteurs : certains n’ajoutent pas d’anis, d’autres ne font qu’une seule distillation, d’autres encore utilisent du fioul au détriment du feu de bois et de la qualité de l’alcool. Raki ou Tsipouro, à vrai dire, nous sommes un peu perdus dans les appellations, il semble que les noms varient en fonction des régions, mais aussi de la présence ou non d’anis dans l’alcool...

Cette année, notre contact a produit 200 litres de Tsipouro à partir de 500 litres de marc. Il nous explique qu’il n’est pas vigneron mais qu’il achète le raisin vendangé au mois de septembre à des producteurs de l’île à partir duquel il produit son propre vin en septembre-octobre puis son Tsipouro fin octobre. Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard cette année, à peine 24 heures après cette longue nuit pendant laquelle l’alchimie a eu lieu, dans cette grange à l’abri des regards et de la lumière du jour. Notre contact est un passionné, employé de bureau, la production de Tsipouro est sa seconde activité. C’est une tradition familiale, aussi vieille que l’alambic, transmise depuis trois générations. Toutefois ses deux filles ne reprendront peut-être pas le flambeau, mais notre contact reste confiant, certain que sa machine continuera à distiller cet élixir pendant encore de nombreuses années.

Et nous repartons dans la nuit sur les routes désertées de l’île, plus riches de cette rencontre généreuse et d’une bouteille d’authentique Tsipouro.


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