Les premières lueurs du jour pointent : la lumière, le bruit du vent dans les roseaux et le chant des oiseaux nous éveillent doucement. Il est 7 heures du matin et nous émergeons de nos huttes ouvertes aux vents. L’air est frais en ce mois de novembre sur la presqu’île de Datça, mais les températures descendent rarement en dessous des 15°C pendant la nuit. Après quelques minutes dans un demi-sommeil, nous nous extirpons de notre lit, balayant du revers de la main la moustiquaire encore humide. Hors de nos couvertures, nous nous hâtons d’enfiler nos vêtements aux parfums d’huile d’olive. Graisseux, le premier contact avec la peau n’est pas le plus agréable mais c’est une protection salutaire face à la fraîcheur matinale. Juste le temps de s’asperger le visage d’eau froide et nous allons rejoindre les autres volontaires pour le petit déjeuner. Nous longeons les rangs de vignes par le sentier qui mène à la cuisine, accompagnés de Bunjunc et Pacha, le chat et le chien de la ferme qui chahutent entre nos pattes, tout excités de nous retrouver. Sur la table de la cuisine, un délicieux petit déjeuner turc nous attend : huile d’olive, olives, miel et pain maison, fromage frais, tomates, thé... La composition change selon l’arrivage, certains matins, faute de pain frais, nous devons nous contenter du «Rock bread», ce pain sec et dur qui rappelle les fameuses biscottes suédoises.
Logan l’Américain est déjà en train de débiter des phrases incohérentes mélangeant histoires vécues, obsessions du moment et théories tirées de guides de survie. On le supplie de se taire. Gapou lui n’est pas encore levé que déjà Sarah se lance dans la vaisselle du petit déjeuner. Hassan, qui a décidé d’arrêter de fumer, allume son cigare matinal en contemplant les montagnes parsemées d’oliviers et d’amandiers, Silvana baille, Annette a mal dormi et cache ses cernes derrière ses grosses lunettes noires tandis que le soleil, lui, n’a toujours pas franchi la crête. Une belle petite famille ensommeillée attendant la journée de labeur... 8 heures toujours personne, on aurait pu dormir 30 minutes de plus !
Enfin, le toussotement d’un moteur retentit dans la vallée, c’est le pick-up de la famille de Yaziköy qui descend lentement le chemin abrupt menant à la ferme. Il s’arrête devant le portail et Noura, la mère, descend les bras chargés de nourriture qu’elle s’en va cuisiner : ce soir à dîner nous aurons des pois chiches. Simge, la fille, est lasse et baille au volant. Bédouane, Ali et Fatma, la tante, nous accueillent avec un Mehraba chaleureux, nos conversations sont limitées mais nous sommes toujours très heureux de nous saluer. L’équipe des volontaires grimpe dans le pick-up boueux : les femmes dedans, les hommes dehors à l’arrière, assis sur les sacs d’olive dont le jus transperce la toile des pantalons. Gapou et Logan font un concours d’«extreme farming» consistant à courir derrière le pick-up et à essayer de monter en cours de marche, au grand désarroi de Bédouane et Ali qui craignent de se retrouver avec un occidental démembré sur le dos.
Nous arrivons au champ et les volontaires commencent à décompter les 8 heures qui leur restent à trimer. Le soleil est là désormais, et commence à taper fort. Chacun prend son panier en plastique, dévale le champ d’oliviers en terrasse, et se trouve un arbre. Bédouane et Ali du haut de leurs longues années d’expérience manient le bâton avec dextérité. En dehors de quelques occidentales saugrenues on n’a jamais vu de femmes tenir ces perches ! C’est là tout un art : il faut frapper l’arbre d’un coup sec et précis pour faire tomber les olives en pluie, sans casser ses branches fragiles. Notre tâche à nous, simples novices, se limitera à ramasser les olives à la main, sur les branches ou par terre, en évitant surtout de prendre des initiatives qui perturberaient le rythme de ces gestes ancestraux. Obéissants et appliqués, nous découvrons les mille et une façons de ramasser les olives : «zeitin toplamak» comme on dit en turc.
Logan l’Américain est déjà en train de débiter des phrases incohérentes mélangeant histoires vécues, obsessions du moment et théories tirées de guides de survie. On le supplie de se taire. Gapou lui n’est pas encore levé que déjà Sarah se lance dans la vaisselle du petit déjeuner. Hassan, qui a décidé d’arrêter de fumer, allume son cigare matinal en contemplant les montagnes parsemées d’oliviers et d’amandiers, Silvana baille, Annette a mal dormi et cache ses cernes derrière ses grosses lunettes noires tandis que le soleil, lui, n’a toujours pas franchi la crête. Une belle petite famille ensommeillée attendant la journée de labeur... 8 heures toujours personne, on aurait pu dormir 30 minutes de plus !
Enfin, le toussotement d’un moteur retentit dans la vallée, c’est le pick-up de la famille de Yaziköy qui descend lentement le chemin abrupt menant à la ferme. Il s’arrête devant le portail et Noura, la mère, descend les bras chargés de nourriture qu’elle s’en va cuisiner : ce soir à dîner nous aurons des pois chiches. Simge, la fille, est lasse et baille au volant. Bédouane, Ali et Fatma, la tante, nous accueillent avec un Mehraba chaleureux, nos conversations sont limitées mais nous sommes toujours très heureux de nous saluer. L’équipe des volontaires grimpe dans le pick-up boueux : les femmes dedans, les hommes dehors à l’arrière, assis sur les sacs d’olive dont le jus transperce la toile des pantalons. Gapou et Logan font un concours d’«extreme farming» consistant à courir derrière le pick-up et à essayer de monter en cours de marche, au grand désarroi de Bédouane et Ali qui craignent de se retrouver avec un occidental démembré sur le dos.
Nous arrivons au champ et les volontaires commencent à décompter les 8 heures qui leur restent à trimer. Le soleil est là désormais, et commence à taper fort. Chacun prend son panier en plastique, dévale le champ d’oliviers en terrasse, et se trouve un arbre. Bédouane et Ali du haut de leurs longues années d’expérience manient le bâton avec dextérité. En dehors de quelques occidentales saugrenues on n’a jamais vu de femmes tenir ces perches ! C’est là tout un art : il faut frapper l’arbre d’un coup sec et précis pour faire tomber les olives en pluie, sans casser ses branches fragiles. Notre tâche à nous, simples novices, se limitera à ramasser les olives à la main, sur les branches ou par terre, en évitant surtout de prendre des initiatives qui perturberaient le rythme de ces gestes ancestraux. Obéissants et appliqués, nous découvrons les mille et une façons de ramasser les olives : «zeitin toplamak» comme on dit en turc.
Simge, la «princesse de Yaziköy», est la seule à avoir quelques notions d’anglais, c’est elle qui nous donne les directives, nous octroie les rares pauses et nous distribue la nourriture au début des repas. Nous gémissons quand elle nous dit de ramasser les olives directement sur le sol, notre technique préférée étant, en bons volontaires fainéants, de cueillir directement les olives sur les branches : pas besoin de se baisser, pas de mal au dos ni aux jambes et le plaisir de plonger la tête dans les feuillages et de grimper aux arbres. Parfois, nous devons ramasser uniquement les olives fraichement tombées, parfois seulement les olives sèches maigres et terreuses et, à d’autres moment, toutes les olives sans distinction et sans que nous ne comprenions les raisons de ces choix. Nous savons cependant que ces différentes olives permettent d’obtenir des huiles de qualités différentes : les fraîches pour l’alimentation et les sèches pour la production de savon.
Les paysans ramassent les olives à un rythme effréné : usant de leurs deux mains avec dextérité, sans craindre les griffes acérées des chardons, ils sont toujours en appui sur leurs deux pieds, accroupis ou jambes tendues et le dos courbé vers le sol. De leur côté, les volontaires cherchent désespérément la position la plus confortable et finissent régulièrement assis par terre à picorer les olives une à une, dans un rayon limité à 50 cm autour de leurs postérieurs. En début de journée la productivité d’un paysan doit valoir celle de deux volontaires, en fin de journée celle d’au moins trois volontaires. Fatma est l’aînée de l’équipe, elle a 60 ans mais les rides de sa peau burinée et ses doigts tout gonflés et cornés par les travaux des champs lui en font paraître davantage. Malgré son âge, elle ramasse à une vitesse incroyable sous les yeux ébahis des volontaires à peine trentenaires. Ses petites mains ne laissent s’échapper aucune olive sur leur chemin, et son corps est si souple que son ventre est presque collé à ses genoux. Aucune douleur ne semble la perturber : débordante d’énergie, elle rit, chante et danse autour de ces arbres qu’elle a vu naître. Fatma est un rayon de soleil, une ode à la vieillesse.
Mais la tâche des ramasseurs est aussi et surtout complémentaire de celle des frappeurs aux grandes perches. Ils frappent et nous ramassons. Pour faciliter notre travail, les frappeurs peuvent étendre une bâche plastifiée au pied de l’arbre, le «yasgueul», avant de commencer à frapper les branches. Il suffira ensuite de plier la bâche et de séparer les olives des branches et des feuilles. Mais là encore, nous constatons que cette technique n’est pas systématique et nous désespérons de comprendre les raisons aléatoires de son usage. Régulièrement, les volontaires implorent les frappeurs d’utiliser le yasgueul, ce qui donne lieu à de curieuses altercations mélangeant turc approximatif et cris de désespoir. Un jour pourtant les volontaires ont réussi à introduire un usage raisonné du yasgueul, au prix d’incroyables efforts consistant à anticiper le travail des frappeurs en disposant le yasgueul sous l’arbre juste avant qu’ils ne s’y attaquent.
Un fois les olives recueillies dans le yasgueul, il est nécessaire d’extraire toutes les branchettes cassées par les coups portés aux branches, c’est le moment le plus agréable. Assis autour du tas d’olives, on brasse la récolte pour en faire émerger les branches. L’odeur est forte, l’huile glisse le long des doigts qui plongent avec délectation dans l’amas de rubis scintillant sous les rayons du soleil. Une fois ce premier tri manuel opéré, les olives sont séparées des dernières feuilles au moyen d’une grille inclinée qu’elles dévalent pour échouer dans un sac, tandis que les feuilles passent à travers. Ce dernier exercice de la journée s’accompagne de cris de bonne humeur et de l’excitation du travail accompli résonnant dans la lumière déclinante du soir.
On charge ensuite les sacs dans le pick-up qui part pour la presse tous les deux jours en moyenne avec un chargement d’environ 600 kilos d’olives. Alors que les volontaires ont rejoint la ferme et les autres paysans leur foyer, c’est Simge qui s’occupe de la pesée des sacs à la presse, l’«olive factory» comme on l’appelle. Les sacs d’olives pouvant peser jusqu’à 50 kilos sont portés et vidés par des hommes aux gros bras et aux vêtements mouchetés de graisse olivâtre. Les olives sont d’abord placées dans un réceptacle et acheminées par un tapis roulant pour être lavées à grands jets. Puis, elles sont littéralement broyées par deux énormes roues de pierre tournant avec fracas. Il en ressort une boue graisseuse à la couleur marron. Cette boue est fourrée dans des espèces de sacs tressés qui sont empilés les uns sur les autres pour être écrasés par la presse de laquelle s’écoule un liquide noirâtre, mélange d’eau et d’huile. Enfin, lors de la dernière étape, pendant que les hommes sirotent leur thé, une centrifugeuse sépare l’eau de l’huile, et de son robinet s’échappe un filet d’or pur.
Il reste à peine un heure de lumière avant la nuit quand les volontaires rentrent à la ferme vers 5 heures, il faut se hâter de démarrer le feu pour chauffer l’eau de la douche avant que l’on n’y voit plus rien. Le dîner est servi avant 7 heures et à 9 heures il ne reste plus grand monde autour de la table, une heure plus tard tout le monde est couché, on entend au loin roder une bête féroce : Hassan s’est endormi et ronfle bruyamment. Soudain, un cri retentit dans la nuit : «Mother fucking cat!», c’est Logan rejetant la compagnie nocturne de Bunjuck qui n’aime pas la froide solitude des nuits.
Les deux semaines passées dans cette ferme au rythme du soleil, nous ont redonné une vraie hygiène de vie, nous avons aussi pu entrevoir la pénibilité du travail aux champs et mesurer la valeur de chaque produit de la nature. Des olives, nous en verrons encore pendant tout le reste de notre voyage autour de la Méditerranée, mais désormais nous les savourerons d’une toute autre manière. C’est drôle, encore longtemps après la récolte, la vue de quelques olives sur le sol éveille en nous une irrésistible envie de nous pencher pour les ramasser !
Pour le diaporama sonore ci-dessous, n'oubliez pas de mettre le son !
Les photos sont egalement disponibles sur notre galerie ici.
Les paysans ramassent les olives à un rythme effréné : usant de leurs deux mains avec dextérité, sans craindre les griffes acérées des chardons, ils sont toujours en appui sur leurs deux pieds, accroupis ou jambes tendues et le dos courbé vers le sol. De leur côté, les volontaires cherchent désespérément la position la plus confortable et finissent régulièrement assis par terre à picorer les olives une à une, dans un rayon limité à 50 cm autour de leurs postérieurs. En début de journée la productivité d’un paysan doit valoir celle de deux volontaires, en fin de journée celle d’au moins trois volontaires. Fatma est l’aînée de l’équipe, elle a 60 ans mais les rides de sa peau burinée et ses doigts tout gonflés et cornés par les travaux des champs lui en font paraître davantage. Malgré son âge, elle ramasse à une vitesse incroyable sous les yeux ébahis des volontaires à peine trentenaires. Ses petites mains ne laissent s’échapper aucune olive sur leur chemin, et son corps est si souple que son ventre est presque collé à ses genoux. Aucune douleur ne semble la perturber : débordante d’énergie, elle rit, chante et danse autour de ces arbres qu’elle a vu naître. Fatma est un rayon de soleil, une ode à la vieillesse.
Mais la tâche des ramasseurs est aussi et surtout complémentaire de celle des frappeurs aux grandes perches. Ils frappent et nous ramassons. Pour faciliter notre travail, les frappeurs peuvent étendre une bâche plastifiée au pied de l’arbre, le «yasgueul», avant de commencer à frapper les branches. Il suffira ensuite de plier la bâche et de séparer les olives des branches et des feuilles. Mais là encore, nous constatons que cette technique n’est pas systématique et nous désespérons de comprendre les raisons aléatoires de son usage. Régulièrement, les volontaires implorent les frappeurs d’utiliser le yasgueul, ce qui donne lieu à de curieuses altercations mélangeant turc approximatif et cris de désespoir. Un jour pourtant les volontaires ont réussi à introduire un usage raisonné du yasgueul, au prix d’incroyables efforts consistant à anticiper le travail des frappeurs en disposant le yasgueul sous l’arbre juste avant qu’ils ne s’y attaquent.
Un fois les olives recueillies dans le yasgueul, il est nécessaire d’extraire toutes les branchettes cassées par les coups portés aux branches, c’est le moment le plus agréable. Assis autour du tas d’olives, on brasse la récolte pour en faire émerger les branches. L’odeur est forte, l’huile glisse le long des doigts qui plongent avec délectation dans l’amas de rubis scintillant sous les rayons du soleil. Une fois ce premier tri manuel opéré, les olives sont séparées des dernières feuilles au moyen d’une grille inclinée qu’elles dévalent pour échouer dans un sac, tandis que les feuilles passent à travers. Ce dernier exercice de la journée s’accompagne de cris de bonne humeur et de l’excitation du travail accompli résonnant dans la lumière déclinante du soir.
On charge ensuite les sacs dans le pick-up qui part pour la presse tous les deux jours en moyenne avec un chargement d’environ 600 kilos d’olives. Alors que les volontaires ont rejoint la ferme et les autres paysans leur foyer, c’est Simge qui s’occupe de la pesée des sacs à la presse, l’«olive factory» comme on l’appelle. Les sacs d’olives pouvant peser jusqu’à 50 kilos sont portés et vidés par des hommes aux gros bras et aux vêtements mouchetés de graisse olivâtre. Les olives sont d’abord placées dans un réceptacle et acheminées par un tapis roulant pour être lavées à grands jets. Puis, elles sont littéralement broyées par deux énormes roues de pierre tournant avec fracas. Il en ressort une boue graisseuse à la couleur marron. Cette boue est fourrée dans des espèces de sacs tressés qui sont empilés les uns sur les autres pour être écrasés par la presse de laquelle s’écoule un liquide noirâtre, mélange d’eau et d’huile. Enfin, lors de la dernière étape, pendant que les hommes sirotent leur thé, une centrifugeuse sépare l’eau de l’huile, et de son robinet s’échappe un filet d’or pur.
Il reste à peine un heure de lumière avant la nuit quand les volontaires rentrent à la ferme vers 5 heures, il faut se hâter de démarrer le feu pour chauffer l’eau de la douche avant que l’on n’y voit plus rien. Le dîner est servi avant 7 heures et à 9 heures il ne reste plus grand monde autour de la table, une heure plus tard tout le monde est couché, on entend au loin roder une bête féroce : Hassan s’est endormi et ronfle bruyamment. Soudain, un cri retentit dans la nuit : «Mother fucking cat!», c’est Logan rejetant la compagnie nocturne de Bunjuck qui n’aime pas la froide solitude des nuits.
Les deux semaines passées dans cette ferme au rythme du soleil, nous ont redonné une vraie hygiène de vie, nous avons aussi pu entrevoir la pénibilité du travail aux champs et mesurer la valeur de chaque produit de la nature. Des olives, nous en verrons encore pendant tout le reste de notre voyage autour de la Méditerranée, mais désormais nous les savourerons d’une toute autre manière. C’est drôle, encore longtemps après la récolte, la vue de quelques olives sur le sol éveille en nous une irrésistible envie de nous pencher pour les ramasser !
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