Le 31 janvier dernier nous quittons donc une Beyrouth pluvieuse en Taxi collectif. Passés les quelques déboires du poste frontière dans le froid et la neige, nous arrivons enfin en Syrie. Le ciel s’éclaircit et bientôt, dans la plaine baignée d’une lumière blafarde apparaît Damas ! La capitale syrienne tient toutes ses promesses : d’emblée son visage arabe et sa culture urbaine moyen-orientale nous transportent et la rencontre avec les damascènes, à la fois chaleureux et réservés, près à traverser la ville avec nous pour nous aider, instaure une confiance qui ne nous quittera plus de tout le séjour. Sur les télévisions de toute la ville défilent les images incroyables de l’attaque des chameaux de Gizeh sur les manifestants place Tahrir au Caire.
Après quelques jours en ville, nous nous mettons en route : contrairement au Liban où nous avons stationné 2 mois à Beyrouth, nous avons décidé de vivre notre expérience syrienne sur le mode du road trip. Nous partons donc pour Mar Moussa, un monastère perdu dans le désert syrien, où nous passons 5 jours, nourris logés par les moines. Malheureusement, le temps joue contre nous : hormis quelques lumineuses éclaircies, le monastère haut perché reste plongé dans le brouillard, nous ne pouvons donc pas participer aux activités de la ferme comme nous l’aurions souhaité. Nous passons alors beaucoup de temps dans la bibliothèque autour du soubia en profitant pour étudier le dialecte syrien et multiplier les rencontres. Nous quittons le Monastère au petit matin dans le mini-bus de la communauté, tandis que le désert défile à la fenêtre et que les moines chantent à tue-tête des cantiques galvanisés par cette belle matinée ensoleillée.
Nous mettons le cap sur Palmyre, l’oasis sur la route de l’Euphrate traversant un paysage désertique de cailloux et de wadis. Au milieu de cet oasis stratégique triomphent encore les ruines d’une cité antique gigantesque, avec ses temples, ses colonnades et sa nécropole, et le souvenir nostalgique de la Reine Zénobie qui osa défier l’empire romain. A Palmyre nous apprenons avec les syriens scandalisés que la fortune de Moubarak pourrait atteindre 70 milliards de dollars.
Nous poursuivons plus à l’est encore, jusqu’à Deir Ez-Zorr ville sur l’Euphrate au développement récent. Nous sommes là aux confins de la Syrie, à un peu plus de 150 Km de la frontière irakienne, l’ambiance y est moins chaleureuse qu’à Damas et nos têtes d’occidentaux ne passent pas inaperçues. Enfin, nous retrouvons l’Euphrate 3 mois après avoir quitté les villages engloutis de la Turquie orientale. Nous poussons jusqu’au site antique de Doura Europos qui surplombe le fleuve depuis son promontoire isolé sur la route de l’Irak. Au moment de quitter le site, dans cet espace désertique nous profitons du passage incongru d’un mariage pour nous faire convoyer jusqu’à la grande route dans une ambiance électrique : musique et youyou à toute berzingue, gros 4x4 affublés de portraits gigantesques de Bachar et immatriculés à Dubaï, strass et paillettes...
Nous repartons vers le Nord-Ouest pour rejoindre Alep où nous sommes accueillis par Kemal, le copain d’Emilie notre colloc’ beyroutine, et Grégoire qui vivent dans une magnifique maison syrienne avec cour intérieure, fontaine, Iwan (salon extérieur) et oranger. C’est dans ce cadre enchanteur que nous décidons de nous marier un beau matin. Nous passons là une courte semaine à déambuler dans cette ville aux voûtes millénaires, et pouvons apprécier ce qui fait sa réputation : son savon, les ruelles labyrinthiques de ses souks, et son conservatisme (on y voit plus qu’ailleurs des femmes portant le voile intégral). C’est à Alep aussi que nous apprenons que Moubarak a finalement jeté l’éponge, ce qui provoque pleurs d’émotion et chants nationalistes arabes en Syrie. Le même jour, Bachar décide de libéraliser Facebook, et des groupes de plusieurs dizaines de milliers de personnes se constituent en quelques jours derrière un appel à manifester en Syrie. Le président syrien sent bien venir le danger qu’il tente de conjurer à la hâte : les foules que nous avons croisées plusieurs fois devant les bureaux de poste ne manifestent pas, mais viennent chercher les allocations d’un tout nouveau programme d’aide sociale.
Nous rejoignons enfin la Méditerranée à Kassab où nous retrouvons des amis syriens à l’occasion d’une des fameuses randonnées organisées par le Père France : plus de 300 jeunes, filles et garçons, peuvent ainsi se réunir librement et nombreux sont ceux qui en profitent pour chercher l’âme soeur. Puis, nous longeons la côte en passant par Lattaquié, Tartous et les deux plus belles forteresses de la Syrie : le château de Saladin et le Krak des chevaliers, tous deux symboles des sanglants affrontements entre croisés francs et Arabes musulmans. Après l’aridité du désert, nous retrouvons les champs d’oliviers et les orangers, la douceur de vivre méditerranéenne, et goûtons cet agréable sentiment d’être de retour chez nous.
Désormais, c’est la Libye qui occupe tous les écrans. On parle aussi beaucoup de cette manifestation spontanée qui a eu lieu à Damas en réponse au comportement d’un policier qui violentait un passant. Seule l’intervention du Ministre de l’intérieur a finalement réussi à calmer la foule.
De nouveau à Damas, nous sommes hébergés par Emilie et Mathieu que nous qualifierons (sans leur permission) d’orientalistes contemporains et c’est avec une très grande excitation que nous accueillons nos amis communs, Emilie et Lionel, venus tout droit de la mère patrie nous donner des nouvelles du pays, saucisson à l’appui. Tous les six nous partons en expédition en bordure de steppe à l’est de la ville de Hama dans le petit village de Sheikh Hilal. Là les habitants ont lancé un projet novateur de tourisme solidaire en restaurant leurs maisons en forme de dôme de terre, les «qobbah». A l’extérieur du village se sont installées temporairement deux familles de bédouins que nous rencontrons lors d’une petite balade et d’une tasse de thé.
Avant de quitter la Syrie, nous retournons au monastère de Mar Moussa pour faire un dernier adieu aux moines et apprécier le retour du printemps sur les montagnes ensoleillées du désert. A Damas, l’appel à manifester a échoué, aucun rassemblement n’a eu lieu ce jour là sans doute du fait de la forte concentration de moustachus sur les lieux (la moustache étant un attribut qui caractérise généralement les membres de la police politique ou moukhabarat). Toutefois, quelques centaines de syriens défilent devant l’ambassade de Libye avant de goûter de la matraque.
Lorsque nous quittons la Syrie, nous avons le sentiment que quelque chose est en marche, que nous avons vécu le calme avant la tempête. Tous les yeux sont rivés sur la Tunisie, l’Egypte et la Libye, une solidarité arabe se manifeste très clairement, mais peu osent encore parler de leur propre pays. Devant un tel flicage de la société à tous les échelons, difficile d’imaginer à ce stade que les syriens choisissent la voie périlleuse de la rébellion contre le régime. Nos amis syriens qui n’ont jamais manifesté de leur vie ne sont pas encore près à courir ce risque, à moins qu’il ne s’agisse d’un véritable mouvement de masse... Finalement, une semaine après notre départ de Syrie, les premières manifestations éclatent dans le sud à Deraa. L’étincelle : des adolescents ayant couvert de slogans révolutionnaires les murs de la ville ont été torturés à l’ancienne par les autorités. Leurs familles, excédées, descendent dans la rue le 12 mars et c’est bientôt tout le pays qui s’embrase.
Aujourd’hui alors que Bachar s’obstine par la violence à vouloir faire taire son peuple, nos pensées les plus sincères vont aux Syriens, à leur courage et à leur générosité. Vive la Syrie libre !
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