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lundi 1 novembre 2010

L’Acropolis, le touriste et le gréviste

A notre arrivée en Grèce par le Péloponnèse, nous n’avions pas l’impression d’être dans un pays en crise. Certes les immenses terrasses des restaurants étaient désertées mais quoi de plus normal en plein mois d’octobre. Aussi, la plupart du temps, le touriste navigue hors de la réalité sociale du pays qu’il visite qui se résume alors aux monuments, aux arts et cultures traditionnelles et à la gastronomie. Le pays d’accueil fait même souvent attention à tenir le touriste éloigné des conflits sociaux, en créant des polices touristiques par exemple, pour qu’il ne conserve qu’une image idyllique de sa visite. Notre première semaine en Grèce peut se résumer ainsi, nulle trace d’une quelconque crise.
 
A notre arrivée à Athènes, nous sommes accueillis par un couple de grecs de notre âge, Stratos et Kelly et, dès les premières discussions la crise fait irruption. Ainsi, Stratos qui prépare une thèse de physique s’est vu supprimer sa bourse du jour au lendemain et ne sait pas s’il pourra aller jusqu’au bout. Dans cette «économie de la connaissance la plus compétitive du monde» promue par l’Union européenne, la première victime de la crise c’est la recherche.  Avec Stratos et Kelly nous rencontrons de jeunes grecs contraints de vivre chez leurs parents, de mener de front trois petits boulots quand ils ont la chance de pouvoir travailler. Ils nous parlent des prix qui augmentent cigarettes, essence, tout, ils nous font part de leurs inquiétudes de cet avenir incertain, de voir les rues d’Athènes se peupler de policiers. Car, en temps de crise, la police devient une solution à toute une multitude de problèmes : elle offre du travail à des jeunes désoeuvrés, elle permet de juguler le développement de la délinquance qui accompagne la paupérisation d’une partie de la population mais aussi de réprimer les mouvements sociaux revendiquant une répartition différente des richesses.


Ainsi, en une semaine, grâce à ces rencontres nous avons entamé une saine mutation, de simples touristes nous sommes devenus des voyageurs, explorateurs des réalités sociales, culturelles et politiques des pays qu’ils traversent. Mais le touriste lui-même peut parfois se retrouver malgré lui face à la réalité conflictuelle des lieux qu’il visite. Nous avons été témoins d’un de ces moments de grâce quand, le 12 octobre dernier une bonne centaine d’employés du Ministère de la culture se sont mis en grève et on bloqué l’accès au site de l’Acropolis, revendiquant le renouvellement de leur contrat de travail censé s’achever le 31 octobre, l’obtention de contrats permanents et le paiement d’arriérés de salaires pouvant pour certains remonter à 24 mois. Ces derniers représenteraient quelques 6 millions d’euros, on peine à croire que le gouvernement grec ait choisi de faire de telles économies de bout de chandelles pour rembourser sa dette de plusieurs centaines de milliards d’Euros ! 

A partir de ce moment s’est mise en place une chorégraphie très soignée entre grévistes, forces de l’ordre, journalistes, touristes et politiques. Ainsi, le premier objectif des grévistes qui était d’attirer l’attention sur leur situation a été atteint : l’Acropolis, premier site touristique de Grèce et symbole de la démocratie athénienne, bloqué pour la troisième fois de l’année, les journalistes ont accouru pour établir un campement permanent devant l’entrée principale. Le lendemain matin, le 13 octobre, c’est au tour des forces de l’ordre d’entrer dans la danse sur la base d’une décision de justice express déclarant le blocage de l’Acropolis illégal. Les gendarmes mobiles prennent littéralement d'assaut le site dans un nuage de gaz lacrymogène enveloppant pelle-mêle grévistes, journalistes et touristes. Au terme de cette variation spectaculaire, la chorégraphie reprend, mais cette fois ce sont les forces de l’ordre qui ont pris le contrôle de l’entrée du site. Toutefois, ce dernier reste bloqué dans la mesure où les salariés en charge de la surveillance du site, jusqu’à lors non impliqués dans le mouvement, se mettent à leur tour en grève par solidarité avec leurs collègues ! 

Deux jours de blocage du «joyau de la Grèce», le nombre de journalistes a triplé et les médias internationaux sont là, nous offrant de fabuleux radio-trottoirs de touristes mécontents de découvrir la réalité d’un pays en crise et de devoir revoir leurs plans : «Nous sommes venus pour l’Acropolis, nous comprenons le problème des grecs avec cette crise économique, mais est-ce que nous devons vraiment être affecté par ça ?» «Le tourisme c’est la principale activité économique de la Grèce avec la marine marchande, cette grève c’est un peu comme si les Grecs se tiraient une balle dans le pied !».
Enfin, le troisième jour, 14 octobre, le gouvernement grec a trouvé le moyen de contourner la grève des gardiens et a pu ainsi donner satisfaction aux revendications légitimes de ces malheureux touristes en ouvrant gratuitement l’accès à l’Acropolis. Ces derniers passent ainsi devant une belle rangée de policiers avant de rejoindre le Parthénon et de méditer sur les heurts et malheurs de la démocratie.

Toutefois, le bruit médiatique international suscité par l’évènement a amené le premier ministre grec à s’exprimer devant le parlement en reprenant à peu de choses près l’argumentaire des touristes : «Donner une telle image à l’échelle mondiale comme nous l’avons vu dans les médias aujourd’hui nuit à notre pays. Est-ce l’image que nous voulons donner de notre pays ? Est-ce de cette manière que nous allons aider les travailleurs dans ce pays, nos entreprises et nos entrepreneurs ? Est-ce de cette manière que nous allons développer le tourisme ? Est-ce de cette manière que nous allons aider l'investissement ? ». On serait tenté de lui retourner la question : est-ce en employant les salariés du Ministère de la culture dans des conditions précaires, en les payant avec un lance pierre que le gouvernement compte aider le développement du tourisme ? 


1 commentaire:

  1. De travailleurs à touristes et maintenant voyageurs, combien d'étapes encore avant la fin du périple?

    Une remarque en passant: la première victime de la crise ce n'est certainement pas la recherche et les chercheurs, ce sont probablement ceux qui étaient déjà des précaires et des fragiles quand c'était la "prospérité". Ceux-là cependant ne manifestent pas et ne savent pas se représenter, pas plus en Grece qu'ailleurs. Puissiez-vous les rencontrer eux aussi...

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